Jean-Claude Juncker au sujet du plan de sauvetage pour Chypre

Stéphanie Antoine: Bonjour à tous et bienvenue dans "L'invité de l'économie" sur France 24. Mon invité est Jean-Claude Juncker, Premier ministre du Luxembourg. Bonjour Jean-Claude Juncker.

Jean-Claude Juncker: Bonjour.

Stéphanie Antoine: Merci beaucoup d'être avec nous. Alors vous avez quitté la tête, la présidence de l'Eurogroupe il y a un peu plus d'un mois. Votre successeur Jeroen Dijsselbloem, ministre des Finances des Pays-Bas doit gérer avec l'ensemble de l'Eurogroupe - mais lui en tant que président - cette fameuse crise chypriote. La crise de Chypre. Est-ce-qu'il y a eu à votre avis Jean-Claude Juncker, des erreurs de communication ou au moins des erreurs sur la pédagogie? Sur la façon justement de mettre en place ce plan de sauvetage?

Jean-Claude Juncker: J'avais dit, je crois en décembre, que le problème chypriote était autrement plus difficile que le problème grec auquel nous avons apporté une solution en décembre/janvier. Personne ne m'a cru à l'époque. Or il s’avère que le problème chypriote est autrement plus compliqué, plus multistratificationnel que le problème grec. Je crois qu'il y a eu des erreurs de communication, mais je ne voudrais pas dire que mon successeur en est coupable. Si vous faites une conférence de presse à 4 heures du matin après une réunion de 10 heures, votre premier souci n'est pas de bien communiquer, mais de bien dire. Or il y a une différence entre bien dire et bien communiquer. Les choses furent bien dites mais mal communiquées.

Stéphanie Antoine: Elles furent bien dites, à votre avis, lorsque la décision de l'Eurogroupe ça a été justement de dire aux déposants chypriotes qu'ils allaient être taxés, les chypriotes eux ont perçus cela comme un hold-up. Est-ce que vous les comprenez?

Jean-Claude Juncker: J'avais mis en garde mes collègues auparavant et les Premiers ministres parce que je les avais vu la semaine précédente, enfin le jour précédent la réunion de l'Eurogroupe, de ne pas retenir la solution qui finalement fut retenue, parce que... [interrompu]

Stéphanie Antoine: Vous étiez opposé à ce qu'on mette en place une taxation sur les dépôts à Chypre?

Jean-Claude Juncker: Oui, mais enfin j'avais mis en garde contre cette approche. Parce que je m'étais dit - et les réactions tentent dans une direction qui me donne raison - que les citoyens européens comprendraient mal. Parce qu'il y a une confusion entre deux choses. La garantie du dépôt qui porte dans tous nos pays - puisque directive européenne il y a - sur 100.000 €. Et puis on introduit dans la solution chypriote, telle qu'elle fut conçue, une pénalisation sur les dépôts inférieurs à 100.000 €. Or la différence est que la garantie du dépôt joue lorsqu'une banque fait faillite. Alors les États doivent garantir les dépôts de 100.000 €. Alors que dans le cas chypriote nous ne sommes pas dans ce scénario, ni dans cette hypothèse, puisque là il ne s'agit pas d'une faillite de banque. Mais le grand public confond les choses.

Stéphanie Antoine: Donc pour vous, ça ne remet pas en question justement cette garantie des dépôts [interrompu]

Jean-Claude Juncker: Non, non, non.

Stéphanie Antoine: ...européenne.

Jean-Claude Juncker: Il est évident que la décision que l'Eurogroupe avait prise ne remet pas en question la garantie de dépôts. Mais le grand public pense - comme les épargnants ne sont pas exemptés de la solution telle qu'elle fut envisagée - qu'on aurait mis en cause le principe de la sécurité des dépôts bancaires des petits épargnants.

Stéphanie Antoine: Vous ne pensez pas qu'il y a des risques de contagion? Que justement d'abord les Chypriotes, dès qu'ils pourront, ils auront accès à leur compte, retireront leurs fonds. Que, pourquoi pas, les Espagnols, les Italiens pourraient également imaginer que ce type de scénario soit appliqué à leur pays et du coup eux aussi penseraient retirer leurs fonds des banques?

Jean-Claude Juncker: Je faisais toujours partie du groupe des membres de l'Eurogroupe qui pensaient que Chypre était un cas systémique. Chaque pays de la zone euro pose un problème systémique, s'il est en difficulté. Ceci dit...[interrompu]

Stéphanie Antoine: Donc Chypre, 0,5% du PIB européen, est un cas systémique.

Jean-Claude Juncker: Oui, je crois que, membre de la zone euro, Chypre est un cas systémique, parce qu'on ne peut pas écarter, même s'il y a des raisons objectives pour le croire, le fait que contagion il pourrait y avoir. Et donc il aurait fallu que nous tenions compte de cet aspect psychologique, atmosphérique des choses.

Stéphanie Antoine: Et comment, justement, il aurait fallu en tenir compte, Jean-Claude Juncker?

Jean-Claude Juncker: Mais, d'abord il aurait fallu que dès le début nous ayons été tous d'accord pour dire que Chypre était un cas systémique. Certains l'ont mis en doute. Pensant sans doute que la faible part que revête Chypre dans le PIB communautaire pouvait laisser croire que le cas n'était pas systémique. Si, il y a 5 ou 6 ans, quelqu'un vous avait dit qu'un pays qui représente 2,5% du PIB communautaire était un cas systémique, vous auriez dit, non ce n'est pas vrai. Or, pourtant, le précédent grec a montré que tout était systémique. Et donc il aurait fallu tenir compte de cet aspect des choses.

Stéphanie Antoine: Quelle est la marge de manœuvre aujourd'hui des Chypriotes véritablement? Est-ce qu'il faudrait qu'ils exemptent les dépôts inférieurs à 100.000 € par exemple de la taxe en question? C'est ce que suggérait Pierre Moscovici.

Jean-Claude Juncker: Je vous parle Madame, le jeudi soir [sic] vers 19.00 heures et donc les dernières décisions n'ont pas été arrêtées. L'Eurogroupe et tous les gouvernements y compris le gouvernement chypriote, voire le gouvernement russe, y travaillent. Mais je considère que toute solution qui inclurait dans le paquet une ponction sur les avoirs des petits épargnants chypriotes, donc ceux inférieurs à 100.000 €, serait une solution qui ne tiendrait pas la route. Je pars donc de l’idée que cette solution ne sera pas retenue.

Stéphanie Antoine: Est-ce que, s'ils ne trouvent pas une solution d'ici lundi, d'après ce qu'a dit Mario Draghi - c'est tout de même un ultimatum posé par le patron de la Banque centrale européenne - il faudrait que Chypre sorte de la zone euro, Jean-Claude Juncker?

Jean-Claude Juncker: Oui, mais enfin je ne vais pas me lancer sur une trajectoire dangereuse à ce point. Je crois et je veux croire, je veux plus croire que je ne le crois qu'il y aura une réponse d'ensemble aux problèmes chypriotes d'ici lundi matin, mais il est vrai que la banque centrale a averti les gouvernements - non seulement le gouvernement chypriote, mais aussi les autres - que lundi matin il y aurait une fin de non recevoir si jamais les Chypriotes devaient s'adresser à la banque centrale. Je trouve, je pense que cette annonce de la banque centrale est logique, cohérente, conséquente et donc les 17 gouvernements de la zone euro savent à quoi s'en tenir.

Stéphanie Antoine: C'est la première fois qu'elle utilise une telle arme, la Banque centrale européenne? En disant, plus de liquidités aux banques si le plan n'est pas accepté [interrompu]

Jean-Claude Juncker: Non, mais la crédibilité de la banque veut qu'elle s'en tienne à ses règles. Et comme la règle fut jusqu'à présent que les offres de sécurité offertes par un gouvernement devaient être crédibles, la banque a tout à fait raison de rappeler ce qui y ressemble être sa doctrine. Et je suis d'accord avec cette doctrine.

Stéphanie Antoine: Du coup les Chypriotes se tournent vers la Russie, premier déposant étranger à Chypre. Qu'est-ce que vous pouvez attendre des Russes?

Jean-Claude Juncker: Enfin, moi j'ai vu, enfin la dernière fois que je l'ai vu, le président Poutine fin septembre, début octobre - et nous discutions de l'affaire chypriote - et j'ai noté dans le chef du président russe comme dans celui du premier ministre russe comme une volonté d'appuyer les efforts de la zone euro, de garantir la stabilité financière sur l'ensemble de la zone euro. Il est vrai que les Russes, les autorités russes étaient gênées par le fait de ne pas avoir été impliquées dans une négociation. Alors qu'ils pensent - est-ce qu'ils ont tort? - qu'il aurait été judicieux de consulter un pays dont les ressortissants disposent en Chypre de dépôts tout de même considérables.

Stéphanie Antoine: Ils critiquent l'absence de concertation?

Jean-Claude Juncker: Oui, d'après ce qu'ils m'ont dit hier et aujourd'hui ils critiquent l'absence de concertation. Il n’en a pas eu depuis, d'ailleurs.

Stéphanie Antoine: Mais est-ce que vous pensez, est-ce que vous ça vous inquiéterait par exemple que les Russes demandent, prolongent un prêt à Chypre, mais en contrepartie mettent la main par exemple sur les gisements offshore de Chypre. Est-ce que c'est quelque chose qui vous inquiète? D'un point de vue géopolitique?

Jean-Claude Juncker: Les Russes ne sont pas des anges. Et donc si on demande aux Russes, je veux dire, Chypre, un effort il n'est pas obscène que les Russes de leur côté demandent des contreparties. Ceci dit, moi je suis très sceptique en ce qui concerne l'inclusion de la Russie dans l'ensemble des mesures qui seront décidées. Puisque certaines interventions russes pourraient avoir pour conséquence l'alourdissement de la charge de la dette publique en Chypre. Or tout l'effort doit tendre vers un abaissement de la dette publique en Chypre et tous les efforts doivent tendre vers une meilleure soutenabilité de la dette chypriote. Donc tout dépendra du genre de l'intervention russe.

Stéphanie Antoine: Est-ce qu'il faudrait, Jean-Claude Juncker, revenir sur les avantages fiscaux de pays justement comme Chypre, comme Malte, mais également l'Irlande, la Grande-Bretagne, le Luxembourg également, ou pas?

Jean-Claude Juncker: Enfin, je fais, Madame, une très nette distinction entre les 4 pays. En matière d'imposition de sociétés, je ne vois pas le Luxembourg évoluer dans une catégorie qui serait très différente des autres pays de la zone euro. A part Chypre, Malte et le Royaume-Uni qui ne fait pas partie de la zone euro. Mais il est évident que lorsqu'un pays demande un appui substantiel tout de même de l'Union européenne, je veux dire de l'Eurozone, que les autres gouvernements se penchent sur le paysage fiscal de ce pays. Et d'ailleurs la solution que l'Eurogroupe a adoptée il y a quelques jours incluait une augmentation de l'imposition des sociétés faisant passer celle là de 10 à 12,5%. Ceci dit, il faut aussi voir que les pays périphériques, l'Irlande que vous avez mentionné, le Royaume-Uni, que vous n'auriez pas dû mentionner… [interrompu]

Stéphanie Antoine: Le Luxembourg.

Jean-Claude Juncker: Qui n'est pas périphérique et qui n'est pas à un niveau de fiscalité aussi réduit que les autres exemples.

Stéphanie Antoine: Mais réduit tout de même, mais réduit tout de même.

Jean-Claude Juncker: Mais non, mais en matière d'imposition de sociétés il n'y a pas une charge fiscale luxembourgeoise qui serait très inférieure à ce que la France ou l'Allemagne ou d'autres appliquent. Nous avons un taux moyen d'imposition légèrement inférieur à 30%, donc il ne faut mélanger les genres. Je sais bien qu'en France on estime, parce qu'on n'aime pas se pencher sur l'ordinaire des choses, que le Luxembourg est un paradis fiscal. Mais étant Luxembourgeois et payant des impôts au Luxembourg je ne peux pas dire que cela serait le cas. Mais, pour revenir à la partie sérieuse de votre question. Il est évident que lorsqu’un pays demande un appui financier, que nous nous penchions sur son paysage fiscal et sur les structures fiscales.

Stéphanie Antoine: Donc en tout cas cela justifie pour Chypre d'augmenter l'imposition.

Jean-Claude Juncker: Oui, mais l'Eurogroupe a décidé d'augmenter le taux d'imposition des sociétés de 10 à 12,5%. Ce qui ressemble à peu près au niveau de ponction, tel qu'il est appliqué en Irlande. Je trouve ça normal.

Stéphanie Antoine: Merci beaucoup Jean-Claude Juncker, d'avoir été mon invité. Merci à vous de nous avoir suivis. Restez avec nous sur France 24.

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