Jean-Claude Juncker au sujet de la situation budgétaire de la France, de l'euro et des cas d'étiquetage frauduleux de produits alimentaires

Arlette Chabot: Merci Monsieur le Premier ministre du Luxembourg d’être avec nous. Bonjour Jean-Claude Juncker.

Jean-Claude Juncker: Bonjour.

Arlette Chabot: Alors cet aveu de la France est grave pour notre pays, pour l’Europe ou pour les deux?

Jean-Claude Juncker: Si j’ai bien compris la communication gouvernementale française, la France reste attachée à l’objectif des 3%, essaiera tout pour y parvenir, mais compte tenu des dernières données connues, notamment en ce qui concerne la croissance économique, pense qu’il ne serait pas exclu que la France ne puisse pas atteindre l’objectif des 3%. Moi je tiens beaucoup à ce que la France y parvienne tout de même.

Si jamais un tel objectif se révélerait d’être inatteignable, nous avons dans les dispositions du pacte de stabilité et de croissance, tel qu’il fut réformé en 2005, une disposition qui permet à la Commission de proposer, si un pays se trouve en récession, des délais d’ajustement plus étendus, à condition que le pays en question ait pris toutes les actions et mesures effectives pour réduire le déficit. Nous allons voir, notamment après la publication des prévisions économiques de la Commission qui interviendront le 22 février, et puis nous prendrons notre décision. Il n’y a pas lieu de s’inquiéter outre mesure.

Arlette Chabot: Oui, parce que il y a ceux qui disent, il y a une évolution tendencielle et on voit que la France fait des efforts, et puis ceux qui disent, et on sent bien du côté allemand, des voix qui expriment, non, non, il faut à tout prix tenir les 3%. Donc vous êtes ni d’un côté ni de l’autre, ou plutôt [gëtt ënnerbrach]

Jean-Claude Juncker: Non, je suis, Madame Chabot, du côté des dispositions éclairantes du pacte de stabilité et de croissance. Mais je maintiens que la France devra tout faire pour arriver à un niveau de déficit de 3%.

Arlette Chabot: Mais la France pourrait ne pas être seule. Vous savez que l’Espagne n’y arrivera pas par exemple?

Jean-Claude Juncker: Oui, mais d’autres délais ont déjà été accordés à l’Espagne, ainsi qu’à d’autres pays.

Il faut bien voir une chose. Le couple franco-allemand, si j’ose dire, constitue le noyau dur de crédibilité de la zone euro. Moi je ne suis pas outre mesure fixé sur les 3%, mais je suis attentif au respect des règles qui ont été retenues. La France devra respecter les règles intrinsèques du pacte de stabilité et de croissance.

Arlette Chabot: Ca veut dire que la France a plus de responsabilité que d’autres pays dans le respect du pacte, c’est ça que vous nous dites?

Jean-Claude Juncker: Je ne dirais pas ça, mais vous avez raison.

Arlette Chabot: La croissance en baisse, -0,3% au quatrième trimestre pour la France, -0,6% pour l’Allemagne. Vous parlez de récession, c’est ça qui inquiète tout le monde, c’est que l’Europe est en récession.

Jean-Claude Juncker: Oui, d’une façon générale, la zone euro est en récession. Il faudra bien en tirer toutes les conséquences.

Arlette Chabot: Ca veut dire qu’à un moment ou un autre, quoi ou comment on relance la croissance, comment on en tire les conséquences?

Jean-Claude Juncker: Oui, enfin la croissance ne se relance pas au niveau européen. Les politiques de croissance devront être l’œuvre des gouvernements nationaux. Et je ne doute pas un seul instant que le gouvernement français ayant pris certaines mesures, saura prendre d’autres mesures pour relancer la croissance en France.

Arlette Chabot: Mais Jean-Claude Juncker, on a quand-même l’impression effectivement, que l’Europe, et on ne cesse de vous interroger sur ce sujet, est dans une spirale infernale. C’est à dire la croissance est ralentie, on prend des mesures encore plus dures pour réduire le déficit, et c’est un engrenage presque fatal.

Jean-Claude Juncker: S’il est vrai que si on exagère les mesures d’austérité, on pèse d’une façon négative sur les ressorts de la croissance. Les politiques intelligentes seront celles qui réussiront l’intersection entre les éléments de croissance et les mesures de rigueur.

Et je dois répéter qu’on net combat pas les déficits en élargissant les déficits. Donc il n’y a pas d’autre option que celle qui consiste à consolider les finances publiques. Donc l’équilibre, le ciblage à trouver est bien celui entre ces deux horizons. Relancer la croissance, mais ne pas oublier qu’il faudra lutter avec énergie contre le dérapage des finances publiques.

Arlette Chabot: Vous vous en tirez mieux au Luxembourg?

Jean-Claude Juncker: La grande différence, outre la différence des taille, constitue dans le fait que le Luxembourg au cours des années, je dois dire des décennies, a tout fait pour ne pas creuser ses déficits, pour ne pas augmenter au-delà du raisonnable ses niveaux d’endettement public.

Ceux qui étaient sérieux au moment où d’autres ont pensé qu’il ne fallait pas être aussi vertueux, se trouvent mieux aujourd’hui. Mais cela ne change rien à la donne du problème.

La politique commence par l’observation de la réalité. Il y a des pays qui ont des niveaux d’endettement plus élevés que d’autres. Il faudra que nous formulions une bonne réponse à l’intention de ces pays, ce qui présuppose que si la solidarité est demandée par l’ensemble de la zone euro, il faudra faire preuve de solidité nationale.

Arlette Chabot: Vous étiez à Paris cette semaine. Vous avez rencontré François Hollande, Jean-Marc Ayrault, et ils vous avaient parlé de cette difficulté française, et ils vous avaient dit, Jean-Claude, on va annoncer qu’on n’arrivera pas aux 3%?

Jean-Claude Juncker: Il était plus qu’évident que le Président, et le Premier ministre commençaient à douter de l’atteinte des objectifs qui avaient été acceptés par la France. Et j’ai expliqué à mes deux interlocuteurs et à mes deux amis que le pacte de stabilité était là pour être appliqué dans toutes ses composantes.

Arlette Chabot: Alors il y a un autre débat sur le niveau de l’euro, l’euro fort. C’est un débat aussi lancé par la France. Parce que, effectivement, ça peut pénaliser les exportations. Vous partagez ces inquiétudes?

Jean-Claude Juncker: Comme mes collègues français, j’ai l’œil rivé sur le comportement des autres, donc des autres ensembles monétaires qui parfois donnent l’impression de vouloir procéder à une espèce de dévaluation interne.

Moi je ne dirai pas que l’euro est trop fort, bien que j’aperçois les contraintes que le cours actuel puisse exercer sur les exportations de certains États membres de la zone euro, alors que pour d’autres, notamment l’Allemagne, le cours de change actuel ne cause aucun problème. Il s’agit de voir l’ensemble.

Arlette Chabot: Mais ça a un sens ce débat sur un euro trop fort, ou trop faible selon vous?

Jean-Claude Juncker: Oui mais moi je ne voudrais pas entrer dans le jeu de ceux qui ont décrété, pensant la déclencher, une guerre des monnaies. Lorsqu’il y a guerre, il n’y a pas de partie victorieuse, il y aura toujours des perdants. Donc nous n’avons aucun intérêt à lancer une guerre des monnaies, mais les autres n’y ont aucun intérêt non plus.

Arlette Chabot: Est-ce qu’un jour les Européens auront le sentiment qu’ils sortent de la crise?

Jean-Claude Juncker: C’est une de mes grandes inquiétudes. Nous avons imposé avec leurs accords des mesures lourdes à nos amis grecs, irlandais et portugais, et dans les pays membres de la zone euro où de lourds sacrifices ont été demandés aux populations. Ces populations tardent à voir les résultats positifs des sacrifices qu’ils ont dû consentir. Ce qui me fait dire que, évidemment, il faut appliquer la rigueur maximale, et qu’il faut aussi savoir donner de l’espoir aux populations et aux peuples concernés.

Arlette Chabot: Vous craignez une révolte des peuples en quelque sorte contre ces mesures d’austérité, chômage en hausse, usines qui ferment, pertes de confiance absolue?

Jean-Claude Juncker: Il faut montrer une grande compréhension pour la situation dans laquelle ces peuples, et notamment les plus modestes d’entre eux, se trouvent. Mais en même temps développer un discours de rigueur. Pas de solidarité sans solidité! Pas de solidité sans sens!

Arlette Chabot: Il y a une crise autour de la viande de cheval, étiqueté bœuf dans beaucoup de pays européens. Ces plats cuisinés et ayant été préparés au Luxembourg, est-ce qu’il y a une grande émotion dans votre pays autour de cette affaire?

Jean-Claude Juncker: Il y a une grande émotion au Luxembourg, puisque l’emballage final, si j’ose dire, fut opéré sur base de produits qui furent importés au Luxembourg via Roumanie, France, et nous sommes en train de vérifier si tous les éléments qui président le retraçage des produits alimentaires ont été respectés. Nous, nous sommes en train de faire notre enquête. C’est une affaire qui me paraît grave.

Arlette Chabot: Grave, c’est-à-dire qu’il faut des sanctions fortes, et de nouvelles mesures prises au niveau européen?

Jean-Claude Juncker: Il faudra faire, mais d’une façon intense et intensive, toutes les enquêtes pour mettre à nu cette tromperie qui frappe lourdement les consommateurs.

Arlette Chabot: Merci Jean-Claude Juncker.

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